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« Charlie Hebdo » : chez les musulmans, la peur de l’amalgame

13 janvier, 2015 à 7:20 | Posté par

Le Monde a publié cet article le 9 janvier 2014, surlendemain de l'attaque terroriste de Charlie Hebdo.

Manifestation en hommage à la tuerie de Charlie Hebdo, le 7 janvier, à Lille. | OLIVIER TOURON/DIVERGENCE pour Le Monde

Manifestation en hommage à la tuerie de Charlie Hebdo, le 7 janvier, à Lille. | OLIVIER TOURON/DIVERGENCE pour Le Monde

L’attentat contre l’équipe de Charlie Hebdo a profondément ébranlé les musulmans de France. Mais chez eux, l’effroi ne va pas seul. Il s’accompagne souvent d’un sentiment d’inquiétude pour eux-mêmes : cette agression ne va-t-elle pas aggraver les difficultés qu’ils rencontrent pour prendre leur place dans la communauté nationale ? Ne va-t-elle pas attiser une islamophobie dont ils dénoncent l’extension ?
Cette crainte a poussé des responsables religieux, associatifs, intellectuels à prendre la parole très rapidement et à préparer des initiatives inédites dans le but de desserrer cet étau.

Jeudi 8 janvier à midi, des musulmans, pratiquants ou non, sont présents dans la foule venue observer une minute de silence devant la mairie d’Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), à l’appel de la municipalité et de nombreuses organisations, notamment musulmanes. « En tant que musulman, je suis très touché, affirme Abderrahim Aabid, 47 ans, gérant d’une société de transports. Cela n’a rien à voir avec l’islam, c’est de la barbarie. » Des « voyous », des « détraqués », des « gens très éloignés de la religion » : c’est ainsi que les terroristes sont qualifiés par les musulmans présents.

"Si on n’est pas d’accord avec un dessin, on doit répondre par la plume"

Ils n’étaient ni lecteurs ni admirateurs de Charlie Hebdo, mais qu’importe. « Si on n’est pas d’accord avec un dessin, on doit répondre par la plume, affirme M. Aabid. Dans ce pays on est libres. »

"Je ne me suis jamais senti aussi français"

« On connaît les dessinateurs assassinés depuis qu’on est enfant, dit Karim, chef d’entreprise d’une quarantaine d’années. Charlie, personne n’est obligé de l’acheter. Et ils tapaient aussi sur le pape, non ? » Karim est musulman, non pratiquant, « mais surtout français ». « Je ne me suis jamais senti aussi français, poursuit-il. C’est la première fois de ma vie que je chante La Marseillaise. » Révolté, il veut faire bloc. « La seule réaction possible, c’est d’être uni, pour que ça ne dégénère pas », explique-t- il.

Beaucoup redoutent des jours et des semaines difficiles. « Des amalgames vont avoir lieu, c’est évident », affirme Djamel, employé dans le secteur des transports. « Le Front national va y gagner », craint-il. « Il y a 6 millions de musulmans, et peut-être 600 fêlés. Devons-nous payer pour eux ? », interroge M. Aabid. A Marseille, Foued A., 35 ans, salarié d’EDF, se pose la question de la mobilisation : « J’ai hésité à me rendre à la manifestation d’hier. Je me suis demandé si c’était ma place. Je ne voulais pas affronter les regards. Cet attentat va rendre la vie des musulmans de France encore plus compliquée. La discrimination, que nous subissons déjà quotidiennement, va encore s’accentuer. »

L’amalgame entre le terrorisme et l’islam, c’est ce péril que sentent monter bien des musulmans et que voudraient déjouer des responsables cultuels, associatifs et des intellectuels. Immédiatement après l’attentat, l’islam « officiel » a condamné l’agression. Toutes les fédérations qui assurent sa représentation institutionnelle, réunies jeudi matin à la Grande Mosquée de Paris, ont appelé les imams à condamner « la violence et le terrorisme » lors de la prière, vendredi, et les fidèles à se joindre aux rassemblements dimanche.

«  Il va falloir être ferme et clair  »

Cette mobilisation de l’islam « officiel » se retrouve dans la société civile. « L’atmosphère est lourde, commente Samy Debah, président du Collectif contre l’islamophobie en France. On est atterré par ce qui s’est passé. La communauté musulmane sent qu’elle a une charge plus lourde sur les épaules. » «  Il y a une unanimité pour condamner mais aussi une véritable crainte que la stigmatisation soit à la mesure de l’impact de l’attentat », résume Saïd Branine, fondateur du site d’informations Oumma.com. « Le sentiment qui prédomine est le choc et le dégoût, note Hanan Ben Rhouma, rédactrice en chef du site Saphirnews.com. Tout de suite derrière, il y a la crainte d’un retour de bâton violent. »

Quatre mosquées ou bâtiments en dépendant ont été pris pour cible depuis l’attentat contre Charlie Hebdo, au Mans (Sarthe), à Port-la-Nouvelle (Aude), à Villefranche-sur-Saône (Rhône) et à Poitiers. « Les musulmans sont partie prenante de cette émotion et de l’esprit de rassemblement. Mais va-t-on les accepter ? », se demande Saïd Branine.

Il va falloir être ferme et clair, affirme Hanan Ben Rhouma. Beaucoup d’actions sont en train d’être mises en route. » Des imams d’Île-de-France ont appelé les fidèles, vendredi matin, à « participer massivement » aux manifestations de dimanche. Ceux de Montpellier et sa région devaient mettre au point « un discours unanime de prêche condamnant sans aucune ambiguïté un acte barbare »….

"On n’a pas besoin d’injonctions pour se mobiliser"

« La question est de savoir quelle est l’action la plus audible. On n’a pas besoin d’injonctions pour se mobiliser », observe la rédactrice en chef de Saphirnews.com, qui ironise au passage sur les « contradictions de notre société : on sollicite aujourd’hui notre islamité, mais le reste du temps, on nous oppose la laïcité ! »

Pour Samy Debah, « il faut absolument que la communauté musulmane rebondisse avec un message fort et sur le long terme, en direction des musulmans et de la communauté nationale. »

Gaëlle Dupont et Cécile Chambraud, Le Monde

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